Vous avez dit contre-démocratie?

Vous avez dit contre-démocratie?

 

Par Hans De Marie HEUNGOUP, Politiste, FPAE (Cameroun).

 

Pierre Rosonvallon a publié son 18ème ouvrage, intitulé: la contre-démocratie.[1] Un titre désagréable, mais qui cache la prouesse théorique que réalise l'auteur. Publié aux éditions du seuil, ce livre renouvelle les approches sur l'histoire de la démocratie, et rend justice à une humanité plurielle, productrice de démocratie. Pierre Rosonvallon y développe une vision inédite sur les trajectoires démocratiques des sociétés occidentales, asiatiques et africaines. Après le "sacre du citoyen"[2], ce spécialiste du "peuple"[3] et de la "démocratie inachevée"[4] soutient que nous sommes à un nouvel âge démocratique. Au peuple-juge, a succédé le peuple-veto; au peuple-veto, le peuple-électeur; et au peuple-électeur, le peuple-sanction. Ce nouvel âge démocratique, c'est la contre-démocratie. La contre-démocratie est le nom de la politique à l'âge de la défiance. Pour comprendre la pensée de l'auteur, il faut considérer les trois aspects essentiels de la défiance: la surveillance, le contrôle et la sanction. Reste une question cruciale: quelle utilité peut avoir le livre de Pierre Rosonvallon pour les sociétés politiques africaines?

 

Comprendre la défiance

L'idéal démocratique règne désormais sans partage, mais les régimes qui s'en réclament suscitent partout de vives critiques. L'érosion de la confiance dans les représentants est l'un des problèmes majeurs de notre temps. Mais, si les citoyens fréquentent moins les urnes, ils ne sont pas pour autant devenus passifs: on les voit manifester dans les rues, contester, se mobiliser sur Internet… Pour comprendre ce nouveau Janus citoyen, Pierre Rosonvallon propose d'appréhender les mécanismes d'institution de la confiance et l'expression sociale de la défiance. Il propose une histoire et une théorie du rôle structurant de la défiance dans les démocraties.

Cette défiance des citoyens à l'encontre des représentants élus s'exprime en premier lieu par le renforcement des pouvoirs de surveillance. Veiller, dénoncer et noter sont les nouveaux paramètres de la démocratie. Cette surveillance est exercée par le citoyen vigilant, le militant syndiqué, Internet et les médias-associations, les agences internes d'audit et de notation[5]. Cette surveillance transcende les paramètres classiques du contrôle en démocratie et performe l'action gouvernementale.

 

 

 

La contre-démocratie sous les tropiques

Penser la contre-démocratie sous les tropiques revient à se demander si ce nouvel âge démocratique a pris corps dans la vie des sociétés politiques africaines. C'est-à-dire, comment la contre-démocratie s'enchâsse-t-elle aux réels politiques africains ?

A ce jour, hormis l'Afrique du sud, le Ghana, le Botswana, le Bénin, le Mali, la Tanzanie et le Burkina Faso, peu d'États africains sont considérés comme démocratiques. Faut-il au préalable instaurer les paramètres tocquevilliens de démocratique dans ces États? Dans ce cas, le livre de Pierre Rosonvallon n'a pas une grande utilité pour les États africains; étant donné que, dans la plupart de ces États, les fondements tocquevilliens de la démocratie ne sont pas encore installés. Mais on peut aussi considérer que les fondements tocquevilliens de la démocratie et les fondements rosonvalloniens de la contre-démocratie ne sont pas exclusifs. Par conséquent, ils peuvent être appris et sédimentés concomitamment. Comme le rappelle Pierre Rosonvallon, il n'y a pas une trajectoire universelle et irréversible de la démocratie. S'il n'y a donc pas de "développement politique"[6] universel, alors les sociétés peu démocratiques peuvent intégrer les paramètres de la contre-démocratie.

Autant il n'y a pas de trajectoire unique du développement économique; autant il n'y en n'a pas pour le développement politique. Pour l'auteur, la politique à l'âge de la défiance est un nouvel âge démocratique: c'est la contre-démocratie Or, la défiance est le propre des sociétés africaines actuelles. Partout en Afrique, on voit des formes plurielles d'expression de la défiance des populations. C'est bien la preuve qu'il n'existe pas de préséance entre l'activité électorale-représentative et l'expression sociale de la défiance; entre l'âge démocratique et le nouvel âge démocratique; entre la démocratie et la contre-démocratie.

 

Pour finir, ce livre est peut être utile pour qui veut réinventer une modernité politique en Afrique. Considérant que l'idée de démocratie est d'origine égyptienne[7], et donc nègre, nous africains, devons penser à renouveler notre superstructure politique. Ce renouvellement passe nécessairement par la réinvention de la démocratie.



[1] Rosonvallon Pierre, La contre-démocratie, Paris, Seuil, 2006.

[2] Ibid., Le sacre du citoyen, Paris, Gallimard, 1992.

[3] Ibid., Le peuple introuvable, Paris, Seuil, 1998.

[4] Ibid., La démocratie inachevée, Paris, Gallimard, 2004.

[5] Op. cit., 2006, p.75.

[6] Badie Bertrand, Le développement politique, Paris, Economica, 1978.

[7] L'idée de démocratie n'est pas hellène, mais égyptienne. Solon d'Athènes à qui l'on attribue la paternité de la démocratie l'a en fait plagiée chez le prêtre égyptien Sonchi, dont il avait été l'élève dans les écoles de vie. Pour aller plus loin, lire, Cheick Anta Diop, Obenga Théophile et Valentin Yves Mundimbe.



21/02/2012
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