Pakistan : effacer Ben Laden

Cela fait exactement 1 an que le saoudien Oussama Ben Laden, chef de file d’Al-Qaeda, est mort. En effet, le 2 mai 2011, à 1h30 locale, un commando constitué de 20 Navy SEAL (forces spéciales de l’US Navy) effectuait un raid contre la résidence d’Oussama Ben Laden, située à Abbottabad au Pakistan. A 5h36, le président Américain commentait la mort du terroriste, déclarant que « justice a été faite ». Dès le lendemain, de milliers d’Américains envahissaient Time Square et Ground Zero, scandant des slogans patriotiques. Les Etats-Unis tentaient ainsi de tourner la page aux tragiques attentats du World Trade Center, le 11 septembre 2001.

Un an après l’élimination de Ben Laden, Al-Qaeda apparaît affaibli. Son successeur, l’Égyptien Ayman el-Zawahiri, n’est pas aussi charismatique que lui. Au terrorisme universel, idéologique et religieux de Ben Laden, succède des terrorismes locaux, rentiers et criminels. Mais Ben Laden a-t-il pour autant été effacé? Pas sûr. De fait, Ben Laden fait désormais partie intégrante de la mémoire collective Américaine. Il restera le père du terrorisme mondialisé. Et Al-Qaeda, même s’il est durablement atteint par la mort de Ben Laden a trouvé de nouveaux moyens de se déployer.

 

I-                 Ben Laden forever

Pour éliminer Ben Laden, il a fallu 10 ans aux Etats-Unis ; pour effacer son nom, il faudra sans doute un siècle, et à condition qu’Al-Qaeda ne soit plus. Par les attentats du 11 septembre, Ben Laden est irrémédiablement entré dans l’inconscient Américain. En voici un bref bilan : 3000 morts le 11 septembre; deux tours symboles de la puissance financière des Etats-Unis détruites; deux guerres qui ont coûté la vie à 9 000 soldats Américains, précipitant les Etats-Unis dans le surendettement (1500 milliards de dollars de dépenses en Irak et en Afghanistan, c’est-à-dire 2 fois le PIB de l’Afrique); et par-dessus tout, un noircissement de l’image des Etats-Unis dans le monde. Si l’on s’appuie sur la théorie du chaos d’Edward Lorenz, on peut dire qu’Oussama Ben Laden est responsable du déclin relatif des Etats-Unis sur la scène internationale. Un seul homme a accéléré la transition de puissance entre l’Asie et l’Occident. Kenneth Waltz doit se retourner dans sa tombe en constant que les États ne sont plus les seuls gladiateurs des relations internationales. Un seul individu a pu clouer l’hyper-puissance mondiale, selon les termes d'Hubert Védrine. Non, les Américains n’ont pas effacé Ben Laden ! Ils ne l’ont même pas vaincu ! Ils ont juste « sauver l’honneur », comme on dit chez nous en Afrique.

 

II-              Ben Laden mort, Al-Qaeda souffre

Depuis 2003, date à laquelle Ben Laden a cessé de financer Al-Qaeda, on observe une décentralisation de celui-ci. Cette décentralisation a conduit à la prolifération des filières : Al-Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), Al-Qaeda dans la Péninsule Arabique (AQPA), Al-Qaeda au Yémen et Al-Qaeda dans la zone Afghanistan-Pakistan.  Comme l’affirme Jean-Pierre Filui, Al-Qaeda est devenu une franchise, un label que de nombreux groupes djihadistes s’attribuent pour perpétrer partout des attentats [Filui, 2006]. A cet effet, Ben Laden lui-même s’éteint plaint du comportement de certains groupes terroristes : les critiquant de  s’associer au trafic de drogue et de multiplier des attentats qui tuent d’innocents musulmans. Le 7 mai 2012, l’administration Américaine a déclassifié 17 des documents trouvés chez Ben Laden lors du raid. Publiés sur le site du Combating Terrorism Center (CTC) de l’Académie militaire de West point, ces documents montrent que Ben Laden ne tiraient plus les ficelles de tous les groupes affiliés à Al-Qaeda.  Dans l’un de ces documents, Ben Laden demande à ses « frères » « d’annuler d’autres attaques, en raison des victimes civiles inutiles possibles ». Il demande également de se dissocier de l’attitude des talibans pakistanais, notamment du groupe d'Hakimullah Mahsud, dans la mesure où celui-ci utilise la violence de façon indiscriminée et tue des civils musulmans. Ces documents révèlent aussi que Ben Laden a refusé d’adouber le groupe les shebab de Somalie. On peut également y lire qu’il demandait de se consacrer sur l’Amérique et planifiait un attentat en vue de la célébration des dix ans du 11 septembre. Il visait notamment l’hélicoptère du président Américain. Il espérait lancer une « nouvelle phase » pour que ses combattants « regagnent la confiance des musulmans ». Dans une des lettres adressées à Ayman Al-Zawahiri, on  peut lire : « le nom Al-Qaeda ne laisse pas savoir aux musulmans que nous le sommes et permet à l'ennemi de clamer de façon erronée qu'il n'est pas en guerre avec l'islam et les musulmans, mais qu'il est en guerre contre l'organisation Al-Qaeda ».

Il y a au total 33 organisations rattachées à Al-Qaeda, sur près de 600 groupes terroristes recensés de 1988 à 2010. Al-Qaeda a été directement responsable de 60 attaques terroristes et 3625 morts dans 10 pays. Mais Al-Qaeda n’est pas tout le terrorisme. En effet, de 1998 à 2010, 600 organisations terroristes ont perpétré près de 21 000 attentats. Al-Qaeda n’est responsable que de 0,3% des attentats terroristes dans le monde, mais de 5,4% parmi ceux létaux. Les attaques d’Al-Qaeda sont plus mortelles, comparées à celle de l’ETA, de l’IRA et des FARC. Le rapport sur le terrorisme du Combating Center for Terrorism précise qu’en 2011, le nombre d’attaques terroristes a diminué, mais le risque terroriste n’a pas faibli.

 

Par Hans De Marie HEUNGOUP                                                                                   Politologue, Chercheur à la FPAE, Cameroun.



12/07/2012
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