La guerre Iran - Israël est hautement improbable

Les risques d’attaque par Israël des installations nucléaires iraniennes ont occupé l’espace diplomatique et médiatique ces derniers mois, les dirigeants israéliens voyant dans la période précédant les élections américaines, le moment propice pour faire monter la pression sur leurs alliés occidentaux sur le thème de « Réglez le problème du nucléaire iranien, sinon, on s’en chargera … ». Dans ce contexte, il se pose la question de savoir s’il y a un risque réel de guerre entre l’Iran et Israël. Plusieurs analystes croient en l’imminence d’une guerre entre ces deux pays. En réalité, en dépit des escalades verbales, en l’état actuel des choses, une guerre Iran-Israël est hautement improbable. On peut à ce propos rappeler quelques faits.

 Le régime islamique d’Iran est avant tout pragmatique. Selon Gary Sick, professeur à l’université de Columbia, les Israéliens ont signé un contrat de vente d’armes avec les Iraniens après la révolution. Ces livraisons se sont poursuivies jusqu’à l’affaire Iran-Contra en 1986. L’Iran et Israël n’ont pas de contentieux autre qu’idéologique. Il n’y a pas de problèmes de frontières entre les deux pays qui sont distants l’un de l’autre de près de 1700 kilomètres. Les relations entre l’Iran et le peuple juif sont anciennes, remontant jusqu’aux achéménides, plusieurs siècles avant JC. Même un évènement aussi important que la révolution islamique d’Iran n’a pu changer cette situation. La constitution adoptée en 1980 reconnaît officiellement le judaïsme et il existe une petite communauté de juifs (20 000) qui vit toujours en Iran, ce qui tranche avec la situation de pays voisins.

 La vision caricaturale d’un Iran fanatisé voulant détruire Israël oublie un certain nombre d’éléments de géopolitique. La République islamique d’Iran, notamment depuis la fin de la guerre avec l’Irak, mène une politique marquée avant tout par la volonté d’être reconnue comme la puissance régionale incontournable, continuant ainsi la politique menée sous le Shah. Il faut donc interpréter le soutien au Hezbollah ou au Hamas ou la rhétorique antisioniste du régime iranien, comme une manière de renforcer son statut dans la région en étant en pointe de la lutte pour la « libération » des Palestiniens. Le programme nucléaire iranien, commencé sous le Shah et abandonné après la révolution, a été réinitialisé à partir du milieu des années 1980 : l’objectif était alors de construire une force de dissuasion, le conflit avec l’Irak de Saddam Hussein ayant révélé que l’Iran ne pouvait compter que sur lui-même en cas d’agression extérieure. Depuis, on peut penser que la poursuite de ce programme nucléaire est plus associée à cette volonté de renforcer le statut de puissance régionale de l’Iran.

 Ahmadinejad n’a jamais dirigé l’Iran et son programme nucléaire. Le mode de prise de décision au plus haut niveau en Iran depuis la révolution est très difficile à déchiffrer (même pour les Iraniens eux-mêmes). Le Guide Suprême, Ali Khamenei, doit toujours donner son accord à une décision finale mais cette décision résulte aussi d’intenses négociations entre les différents centres de pouvoir qui composent le pouvoir iranien. Si, suite à son élection, Ahmadinejad a semblé être en position de force, il n’a jamais pu diriger seul, notamment le programme nucléaire. En outre, le président iranien a vu son influence reculer ces derniers mois. Le Guide et une majorité des conservateurs présents au Parlement ont vivement critiqué son « populisme » économique. En outre, cette même mouvance, attachée au principe de Velayat-eh faqih (supériorité du religieux sur le politique) a accusé le président d’avoir pour objectif une éviction des religieux du pouvoir iranien. Or, ces conservateurs, opposés au président, se présentent eux-mêmes comme plus rationnels dans les politiques qu’ils proposent. En matière de politique étrangère, cela signifie qu’ils privilégient la discussion aux discours à l’emporte-pièce d’Ahmadinejad.

 Ces tensions doivent aussi beaucoup à des questions de politique intérieure. On sait à quel point le régime iranien a besoin d’un ennemi extérieur pour faire appel au nationalisme. Cette politique, qui a commencé avec la guerre avec l’Irak, a été poursuivie par Ahmadinejad qui préfère présenter l’Iran comme ne reculant jamais face aux pressions extérieures qu’aborder les très nombreux problèmes économiques, sociaux et politiques qui intéressent la population. Mais, toutes proportions gardées, n’en est-il pas de même en Israël, où le recours à l’ennemi extérieur permet d’unifier le pays et de légitimer un gouvernement alors que le pays doit répondre à des défis internes beaucoup plus complexes ?

On est donc loin de la vision simpliste de maints d’observateurs. Compte tenu de cet environnement, il apparaît très improbable qu’un conflit éclate entre les deux pays. Les risques viennent plus de la méconnaissance de l’Iran ou même de la stratégie occidentale suivie dans le cadre du nucléaire qui est caractérisée par le refus d’une véritable négociation avec l’Iran (« puisqu’on ne peut pas leur faire confiance ») et le choix de la manière forte (« Faites ce que l’on vous dit sinon sanctions ou … guerre »). Or, cette politique fait le jeu des courants les plus radicaux en Iran et accroit les tensions entre l’Iran et les pays occidentaux (ce qui a contribué à la montée du prix du pétrole depuis la mise en place des sanctions américaines et européennes ces derniers mois). En fait, en Israël même, on sent une grande indécision au sujet d’un éventuel conflit. Le chef d’état-major de l’armée israélienne ne vient-il pas de déclarer que l’Iran n’a pas encore pris la décision d’acquérir la bombe atomique contredisant les propos alarmistes du gouvernement israélien.


Face aux risques incalculables que ferait peser un conflit (pas seulement au Moyen-Orient), il est évident que de véritables négociations restent le meilleur moyen de régler cette crise. Les autorités iraniennes ont d’ailleurs démontré une réelle volonté de négocier lors de la réunion d’Istanbul à la mi-avril 2012 : les 5 + 1 et l’Iran se sont mis d’accord sur un cadre de négociation qui devrait permettre le début de véritables discussions lors de la prochaine réunion prévue à Bagdad fin mai. Il est toutefois clair qu’il ne faut pas s’attendre à des miracles sur ce dossier tant il est complexe et tant la méfiance est grande des deux côtés.

Par Hans De Marie HEUNGOUP,                                                                                   Politologue, Chercheur à la FPAE, Cameroun.



12/07/2012
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