Pourquoi une éthique des affaires?
Introduction
Le questionnement sur une éthique des affaires n’est pas neuf dans les champs épistémologiques des sciences sociales et de la philosophie. En effet, depuis la fin du 19ème siècle, l’essor des sciences techniques et le développement de la vie des affaires ont conduit plusieurs chercheurs à se pencher sur l’articulation qu’il pouvait avoir entre l’éthique d’une part, et les « affaires » d’autre part. C’est dans ce sens que s’inscrit cette pensée de MOUSSE Jean : « Un chef d’entreprise… n’a pas pour but d’appliquer les principes de la morale… mais plutôt de faire tourner ses affaires, d’acheter, de produire et de vendre, d’embaucher ou de licencier du personnel… Ce faisant, il peut éventuellement se référer à quelques principes. »[1] Voici une affirmation qui pourrait faire sursauter plus d’un. Elle peut laisser penser que l’auteur prêche un affairisme sans foi ni loi. Mais en réalité, pour mieux comprendre cette pensée, il faut la situer dans l’ancrage de la philosophie générale de l’auteur, qui contribue à réinventer l’éthique des affaires. Ce papier tentera, au travers d’une appréciation de la pensée de MOUSSE Jean, de re-problématiser la question du « pourquoi fait-on les affaires ». La vie des affaires est-elle compatible avec l’éthique ? Quelle éthique pour un monde des affaires où tous les coups semblent permis ?
L’analyse de la pensée de l’auteur nous permettra de l’expliciter dans un premier temps (I), ensuite de la discuter au regard de la crise financière et des réalités socioculturelles africaines dans un temps second (II).
I-
Check-up du
« pourquoi des affaires »
Technicien de formation, MOUSSE Jean de
Toutefois, cette assertion mérite des critiques légitimes, dans la mesure où l’essor des affaires a entraîné des dérives, tant pour les individus que pour la société toute entière. D’ailleurs, l’auteur le reconnaît à demi-mot lorsqu’il affirme : « Toutefois, il peut éventuellement se référer à quelques principes ». En réalité, les dérives des milieux des affaires sont si importantes aujourd’hui qu’on ne saurait se passer d’une éthique de la responsabilité de ces dernières. Comme le montre la crise financière de 2008, la liberté absolue dans les affaires peut conduire à la crise économique et à la faillite de l’Etat. Les conséquences sont graves : chômage, pauvreté, baisse des revenus, fermetures d’entreprises etc. Alors, on peut dire avec PUEL Hugues que « l’économie et les affaires ont besoin d’éthique[2] ». De ce fait, le vocable « éventuellement » n’a pas sa place dans les propos de l’auteur, étant donné que l’éthique est aujourd’hui une nécessaire exigence des affaires et de l’économie. C’est ce qui explique la remise en cause actuelle des dogmes de Maastricht et le plaidoyer des dirigeants du G20 en faveur d’une régulation du marché. Une régulation qui présuppose une éthique des affaires, de la responsabilité et de la liberté.
Outre l’aspect économique, l’étude de la pensée de l’auteur sous le prisme de l’anthropologie sociale et culturelle africaines permet d’esquisser d’autres critiques et de proposer une nouvelle éthique des affaires.
II-
Le « pourquoi
des affaires » à la lumière de l’anthropologie sociale et culturelle
africaines
Dans la vision actuelle, les échanges économiques et les affaires n’ont pour but ultime que la réalisation du profit. Il est question ici de défendre ses intérêts et son gain, au détriment parfois du cocontractant. Cette vision peut être qualifiée d’européocentriste, si l’on prend en considération le sens et le but du commerce dans nos sociétés traditionnelles. D’où un nécessaire passage à l’anthropologie sociale et culturelle africaines.
Avant l’introduction de la monnaie, les sociétés africaines commerçaient
par le biais du troc. L’objectif dans cette forme d’échange n’était pas la
recherche effrénée du profit au détriment de son vis-à-vis. Il y était plus
question d’une relation « win-win ». Chaque partie aux affaires et au
commerce s’en sortait plus grandi. Les entreprises et les commerces avaient
davantage un but de socialisation. Elles permettaient de mettre des familles et
des groupes d’individus en contact, tout en facilitant leur insertion au sein
de la société. On voit qu’ici, le pourquoi de l’entreprise ou des affaires
n’était pas exclusivement la recherche du profit. L’entreprise et les affaires
étaient au servie de l’intérêt général. Aujourd’hui d’ailleurs, les sociétés
occidentales le reconnaissent et tentent d’adopter la vision africaine. Qu’est
ce que c’est que la notion de « développement durable », si ce n’est
finalement une reprise à l’européenne de la vision africaine de l’entreprise.
En effet, le développement durable suppose des entreprises qui ne sont plus
exclusivement préoccupées par des considérations économiques, mais qui
intègrent également le social et l’environnemental. En soulignant la dimension
sociale et environnementale, la notion d’entreprise sous le prisme du paradigme
du développement durable se rapproche de la vision africaine.
Conclusion
Tout au long de ce travail, notre objectif était de faire un commentaire et une appréciation critique de la pensée de MOUSSE Jean dans son ouvrage « Ethique des affaires : liberté, responsabilité ». Il en ressort que l’auteur apporte une réponse nette à la question de savoir dans quel but fait-on les affaires.
Pour lui, la motivation première de l’entrepreneur n’est pas de l’ordre moral. Toutefois, l’auteur admet que celui-ci doive se conformer à quelques principes. Si nous agréons favorablement la pensée de l’auteur pour une part, il n’en demeure pas moins que pour « Le développement des peuples »[3], une vraie éthique et une vraie régulation du milieu des affaires est indispensable aujourd’hui. Ceci est d’autant plus vrai depuis la dernière crise financière où « l’économie [est] au défi de l’éthique »[4]. De plus, si l’on considère le sens que les peuples d’Afrique donnaient au troc, cela pourrait permettre d’impulser une nouvelle vision des affaires et de redéfinir par conséquent l’éthique même des affaires. En s’appuyant donc sur le sens africain de l’entreprise, on peut se poser légitimement la question suivante : quelle éthique des affaires dans une société de postmodernisme et de libéralisme outrancier ?
Bibliographie
GELINIER Octave, L’Ethique des affaires. Halte à la dérive ! Paris, Editions du seuil, 1991, 220 pages
MOUSSE Jean, Ethique des affaires : liberté, responsabilité. Le décideur face à la question éthique, Paris, Dunod, 2001, 127 pages
- Pratiques d’une éthique professionnelle, Paris, Editions d’organisation, 1989, 175 pages
- Fondements d’une éthique professionnelle, Paris, Editions d’organisation, 1989, 175 pages
PUEL Hugues, L’économie au défi de l’éthique. Essai d’éthique économique, collection Ethique et société, Paris, Editions du CERF et CUJAS, 1989, 150 pages
[1] MOUSSE Jean, Ethique des affaires : liberté, responsabilité. Le décideur face à la question éthique, Paris, Dunod, 2001, 127 pages
[2] PUEL Hugues, L’économie au défi de l’éthique. Essai d’éthique économique, collection Ethique et société, Paris, Editions du CERF et CUJAS, 1989, 150 pages
[3] Cf. Jean Paul II, Populorum progressio ; lire aussi Sollicitido rei socialis
[4] PUEL Hugues, Op.cit., 1989