LA GENERATION Y AU TRAVAIL : LE CAS CAMEROUNAIS
Novembre 2011
LA
GENERATION Y AU TRAVAIL : LE CAS CAMEROUNAIS
Par
Hassan NJOYA : Master GRH UD-ESSEC, Master GRH UCAC
Quelle est cette génération
qui quitte les universités et grandes écoles, plus diplômée que leurs pères,
mais qui font réfléchir par deux fois les employeurs au moment de leur
insertion professionnelle ? Ces jeunes qui donnent le frisson aux uns et
font rager les autres parmi les chefs d’entreprises ? Ils donnent du fil à
retordre aux DRH et sont perçus comme une génération « à surveiller de près ». Ils posent sans cesse des
questions, n'imaginent pas faire toute leur carrière dans la même société, sont
connectés sur les réseaux sociaux pendant leurs heures de travail, ont troqué
leur costard-cravate contre un uniforme jean-baskets... […] C'est la génération
Y[1].
C’est sans doute également pourquoi on les appelle la génération Y, la
génération Why, la génération Now, c’est une génération née entre 1979
et 1989. Que cela soit en Afrique ou dans les pays d’Outre-mer, cette jeunesse
inquiète partout.
Le fait pour cette génération
d’être plus diplômée que la précédente génération X, est une preuve qu’elle ne
peut pas être négligée dans le marché de l’emploi. Malheureusement, aussi rare
qu’un cheveu sur la tête d’un chauve, la littérature traitant de cette
génération dans le cas Africain en particulier est quasiment inexistante. Il
n’ya à proprement parler, pas d’écrit approfondi de gestion ou de management
sur la génération Y au Cameroun par exemple. C’est pour cette raison que nous-nous
proposons cet article qui ne fait que jeter un regard perquisiteur sur ce
phénomène générationnel. Puisqu’il ne s’agit plus de poser la question à savoir
POURQUOI cette génération existe (c’est un fait), notre interrogation sera donc
la suivante : Cette génération est-elle domptable ? Sinon, comment
cohabiter avec elle pour avancer plus rapidement dans les entreprises ?
Une première réponse sera à
chercher dans le conflit des générations en entreprise et les tournures qu’elle
peut prendre, puis de voir comment la quête vers une nouvelle identité
professionnelle peut être envisagée.
I-
La
Génération Y contre les managers : Un conflit intergénérationnel à
facettes multiples
-
Les
difficultés de transition et de compréhension
« Notre
jeunesse aime le luxe, elle est mal élevée ; Elle se moque de l’autorité
et n’a aucune espèce de respect pour les anciens. Nos enfants d’aujourd’hui
sont des tyrans. Ils ne se lèvent pas quand un vieillard entre dans une pièce.
Ils répondent à leurs parents et ils sont tout simplement mauvais ». Cette
longue citation de SOCRATE semble illustrer jusqu’à nos jours la jeunesse, ou
nouvelle génération. C’est à croire qu’il y aurait une étrange reproduction
sociale depuis le temps reculé de ce grand philosophe de l’histoire. Mais ce
serait sans compter les bouleversements environnementaux, politiques, familiaux
et technologiques de notre époque. Effectivement, au Cameroun, avec les
nouvelles conjonctures socio-économiques et politiques qui ont vu naitre notre
génération Y, beaucoup de choses ont vraiment changées, mieux encore, les
coutumes et traditions ont été bouleversées face au « pouvoir blanc » qui vient de loin.
Nos jeunes, très victimes du phénomène de la mode
Occidentale et Américaine, se retrouvent face à un véritable mur dressé par les
pères de la génération des Baby-booms et de la génération X. Les Baby-boomers,
qui détiennent actuellement le plein pouvoir dans tous les secteurs du pays,
furent imprégnés par les anciens clercs blancs ou colons. Ces derniers ont
inculqués aux premiers, destinés à les remplacer, le sens de l’autorité, du
respect, du pouvoir, du travail et de l’ascension sociale. Une sorte
d’initiation à la bureaucratie et à l’autocratie, qui a commencé à connaitre
des flexibilités avec la génération X, génération née après les indépendances
jusqu’aux années 1970. Si la transition a été à peu près réussie aussi entre
les Baby-boomers et les X, on en est encore à s’interroger sur les modalités de
la prochaine transition. L’incompréhension
et l’incompatibilité qui séparent ces deux premières générations à la dernière
sont marquantes. Les managers actuels, majoritairement issues de la génération
X ont connus les moments où les enseignements primaires, secondaires et du
supérieur marquaient leurs lettres de noblesses dans l’histoire du Cameroun.
Ils ont donc commencé à vivre l’époque où l’adéquation Formation/Emploi était à
un très bon niveau, et le taux de chômage moindre ; Bref, les années 60,
70 glorieuses.
La nouvelle génération a connue la crise économique, la
montée en flèche du chômage, l’hégémonie de la corruption, une dégradation
incroyable des niveaux de formations académiques et de vie, et qui ont causé un
relâchement progressif des mœurs chez elle. La délinquance juvénile ayant viré
au drame au Cameroun, les managers espèrent bien rechercher leurs remplaçants
en utilisant le tamis le plus sévère, afin de mieux filtrer les rescapés de
l’apocalypse. La transition est toujours difficile à envisager car, les jeunes
des universités d’Etat ne reçoivent plus de formation à la pointe, avec une
teinte de «jeunesse incompétente ».
Une jeunesse où beaucoup sont enclin à la tricherie et à l’achat de leurs diplômes, résultats tragiques de la complicité
perverse entre étudiants et professeurs corrompus. Du coup, on sollicite plus
la diaspora ou les étudiants des grandes écoles et universités de renom, telles
l’ESSEC de Douala, ou l’UCAC de Yaoundé, l’IAI, l’école polytechnique ou
l’école des statistiques, et quelques meilleurs étudiants des universités
d’Etat, où la formation répond encore aux exigences des entreprises. Toutefois,
ces derniers, avec un esprit neuf, apportent toujours de nouvelles conceptions
et de nouveaux conflits au sein des organisations. Si les jeunes ont tous droit
à l’éducation au Cameroun, ils n’ont pas néanmoins les mêmes droits à l’accès
au travail, car il ya toujours une sélection ; On tient bien compte de
l’aspect académique, mais aussi de l’aspect éducationnel, relationnel, et même
traditionnel. Lors de notre séjour à L’UD-ESSEC, nous avions eu un entretien
avec le Pr Camille EKOMO de l’Université de Douala[2]
. Ce dernier déclarait, concernant notre débat sur l’emploi des jeunes : « Lorsqu’une jeunes fille se présente
dans nos bureaux pour une demande d’emploi, avec du chewing-gum dans la bouche
et une chaine nouée à la cheville, ou lorsqu’un garçon se présente vêtu d’un
jeans et autres accoutrements fantaisistes, ils auront beau être les majors,
les intelligents ; Ce qui se présente devant nous en dit long, et le
candidat ne nous intéresse plus ! ». En réponse à cette question,
nous avons demandé comment les recruteurs peuvent être aussi physionomistes au point de négliger une potentielle
valeur. Le professeur fut catégorique dans sa réponse : « Il ya quelques choses que vous aurez
beau cacher, elles vous trahiront toujours, si vous les possédez : La
mauvaise éducation et l’insolence qui se reflètent dans tout ce que vous faites
et dans vos paroles ! ».
En dehors de l’abus de pouvoir, on peut comprendre pourquoi
les Baby-boomers et les X s’entêtent à s’accaparer le pouvoir : Faute de
relève appropriée. Le fer de lance est émoussé, il faut l’aiguiser à nouveau,
encore faut-il savoir comment s’y prendre!
-
Managers
et génération Y : Un conflit perpétuel ?
Lorsque les jeunes réussissent à intégrer une
entreprise publique ou privée, ils sont confrontés à de nouveaux défis, dont le
plus important est d’intégrer véritablement cette structure et de faire corps
avec les autres membres du personnel. Ce n’est donc pas un fait rare de voir de
petits groupes qui se forment en entreprise et dont la particularité est que
les membres ont sensiblement le même âge. Après les affres qu’ils ont connus
lors de leur recrutement, beaucoup de jeunes espèrent briller de milles feux,
surtout quand ils sont conscients que certains de leurs pairs ont été éliminé
parce qu’ils ne parlent pas leurs langues maternelles ! La première forme
de conflit est observée au niveau des rapports de travail et des rapports au
travail. Il en est de même pour toutes
les relations sociales et professionnelles internes[3].
Le torchon brûle toujours entre vieux et jeunes. Ces derniers ayant perdus
beaucoup des valeurs que les premiers trouvent indispensables dans de bonnes
relations interpersonnelles, les points de vue ainsi que la culture
d’entreprise semblent contestées. L’esprit de corps est une particularité
propre aux africains ; Toutefois, on reconnait la génération Y à travers
leur individualisme et égocentrisme. Cette génération privilégie le travail
personnel plus que le travail d’équipe, elle est vraiment impatiente et tente
toujours de briser les rapports hiérarchiques. C’est donc une génération qui a
évoluée de la Solidarité Mécanique à la Solidarité Organique d’Emile DURKHEIM.
Notre observation effectuée au sein de la Direction des Ressources Humaines de
la SNH (Hassan NJOYA)[4],
entreprise de grande envergure au Cameroun est illustratif ; Les jeunes
cadres sont très individualistes, et coopèrent peu, s’enferment dans leurs
bureaux et freinent la politique de « franche
collaboration » de la société.
Le second conflit s’étend au
niveau de l’organisation. Les Y ou la génération Now (maintenant) veulent tout ici et maintenant, ce qui laisse
croire donc qu’ils ne s’imaginent pas du tout entrain de passer toute une
carrière au sein d’une même entreprise. C’est donc ce manque flagrant de
loyauté qui accroit la méfiance des employeurs. Ces derniers peuvent parfois
exiger des nouvelles recrues l’engagement à servir avec loyauté pendant au
moins dix ans dans leurs entreprises. Les statistiques nationales concernant le
taux de turn-over des jeunes dans les entreprises publiques et privées sont
difficiles à établir, d’autant plus que les motifs des départs sont très
variés. Les jeunes veulent assouvir leur besoin matériel, car tenant à assurer
leur devenir face à un avenir où la pauvreté et le chômage ne sont pas près de
disparaitre. Ainsi, ils iront toujours vers l’entreprise qui proposera une
meilleure rémunération. Les employeurs ne tiennent donc pas à mobiliser assez
de ressources pour une main d’œuvre qui peut s’avérer être efficace, mais à
très court terme pour le rendement.
La dernière forme de conflit
est visible au niveau de l’accord sur la culture d’entreprise. Le choc des
cultures a parfois une inter-connectivité avec les conflits
intergénérationnels. Cela peut naitre du fait qu’on ne partage plus les mêmes
valeurs, ou que les jeunes trouvent celles existantes, trop retardées et ne
correspondant plus avec le contexte actuel de la vie. Toutefois, comme nous
l’avons dit plus haut, les cultures d’entreprises au Cameroun ont la particularité
d’être issues des coutumes et traditions dominantes chez l’employeur. Certains
employeurs ne tolèrent pas de compromis avec leurs coutumes, et recrutent à
partir d’elles, en ne sélectionnant que les jeunes issues de la même région
qu’eux. Généralement, ce sont des entreprises familiales, des entreprises
personnelles avec un taux de tribalisme maximal. Le professeur E, KAMBEM[5]
illustre si bien le phénomène de l’interculturalité et les problèmes liés à la
culture d’entreprise dans son ouvrage.
II-
Vers
la conquête d’une nouvelle identité professionnelle
-
Les
principaux obstacles
Malgré elle, la génération Y
ne peut être négligée dans le marché de l’emploi. De plus, la préparation de la
transition, du transfert doit commencer à se faire le plus tôt, et seules les
entreprises ayant compris cet enjeu pourront y mettre l’énergie et les
ressources nécessaires. Il y a la rigidité d’esprit qui empêche les dirigeants
de certaines institutions d’appréhender l’évolution des besoins actuels, par
rapport aux exigences évolutives du monde professionnel. Cette rigidité les
enferme dans une logique ritualiste et répétitive. La jeune génération porte la
nouvelle dynamique du contexte actuel du marché de l’emploi. Si la main d’œuvre
n’est pas toujours très qualifiée, elle possède néanmoins un bon potentiel,
grâce notamment à l’environnement technologique dans lequel elle est imprégnée.
Cela implique donc de desserrer les nœuds de la rigidité, de quitter la
bureaucratie pour faire place au management.
On a ensuite le poids
exorbitant de la règlementation formelle et des procédures administratives au
sein des organisations. Ces dernières se traduisent par un certains conformisme
qui empêche les jeunes d’introduire des innovations, aussi pertinentes soient-elles,
dans le programme en vigueur, tant que cela n’a pas fait l’objet d’une
légitimation légale au niveau des plus hautes instances
politico-administratives. Cela limite bien évidemment les initiatives
créatrices (E. KAMDEM). C’est généralement la raison pour laquelle on observe
souvent un jeune cadre dynamique perdre de son ardeur et devenir conformiste en
un rien de temps.
-
Sur la
voie de la synergie
Nous ne prétendons pas
posséder la solution, le remède miracle, capable de résoudre un tel phénomène.
Toutefois, nous voulons contribuer en présentant un point de vue.
La notion de SACRIFICE doit être refaçonnée
dans ce cas. Un sacrifice commun qui ne découlera que d’un combat de longue
haleine. Si nous avions mentionné les dimensions éducationnelles, culturelles,
familiales, environnementales, c’est pour la raison que tout va de là. C’est un
secret de polichinelle que les employeurs aiment les jeunes intègres et
honnêtes, travailleurs et stables ; Cela est d’autant plus normal, que
nous soyons dans le contexte de la société africaine où les bons enfants sont
toujours perçus comme les enfants prodiges, et donc favorisés, par rapport aux
mauvais enfants exclus afin de les inciter à redevenir droit. La part de
sacrifice des jeunes revient à reconsidérer leur identité devenue hybride et
déracinée. Le modèle de l’exemple et du héros doit partir du fait que chaque
jeune doit considérer qu’il a une mission à accomplir et qui passe par
l’identité, donc la personnalité ; N’est-ce pas la personnalité d’un
individu qui en fait un héros ? Si aujourd’hui, intégrer une entreprise
devient si difficile, des solutions très adaptées au contexte africain sont
proposées. La plus connue est la création d’entreprise. A elle toute seule, le
taux de chômage sera résorbé de plus de la moitié.
Les employeurs gagneraient à
développer des politiques de stages[6]
(Hassan Njoya) qui permettront de mieux connaitre les potentiels des jeunes, et
en profiter pour les sensibiliser sur le
« savoir-être » et son
importance en entreprise. Le Sacrifice consistera à accepter le « fer de lance émoussé », et à
fournir l’ultime énergie pour l’aiguiser à nouveau. Le combat contre le
tribalisme et l’ethnocentrisme doit être engagé ; A défaut de disparaitre, ils doivent prendre
des dispositions, pour permettre au terme d’équité
d’avoir un sens au Cameroun. Les demandes d’emplois étant largement au dessus
des offres, les organisations publiques, donc le gouvernement doivent s’engager
dans une lutte acharnée et engagée contre le chômage, en finançant les projets les
plus prometteurs des jeunes, même si
ceux-ci sont totalement démunis financièrement. Autrement, les entreprises
doivent encourager leur insertion professionnelle en réduisant l’âge et en
réadaptant la procédure de recrutement pour eux. La génération X, considérée
comme génération médiane, doit pouvoir mettre sur pied des techniques de
coaching des jeunes en situation de travail. Ces jeunes, malgré tout, sont les
managers de demain, et les héritiers.
BIBLIOGRAPHIE
-
Claude ABBE ; Relations Sociales et Professionnelles en Afrique ; Professeur
en Sociologie des Organisations, UCAC- 2011
-
EKOMO Camille ; Sociologie des Organisations ; professeur en Sociologie et
vice doyen de la Faculté de Lettres et Sciences Humaines de l’UD, Douala, UD 2008.
-
E. KAMDEM, Management
et interculturalité en Afrique : Expérience Camerounaise ; Les
presses de l’Université Laval ; L’Harmattan, 2002
-
Hassan Njoya, Formation des Jeunes et politique des stages non rémunérés :
problématique de l’insertion professionnelle des jeunes. Yaoundé-UCAC 2011
-
Hassan
NJOYA ; Enquête de recherche à la
Société Nationale des Hydrocarbures, effectuée en Mai 2011
-
POLITI, Communication Internet, 7 Avril 2010
[1] POLITI, Communication Internet, 7 Avril 2010
[2] Pr EKOMO Camille, professeur en
Sociologie et vice doyen de la Faculté de Lettres et Sciences Humaines de l’UD
[3] Voir cours de Relations Sociales et Professionnelles en Afrique ; Claude ABBE, Professeur en Sociologie des Organisations, UCAC- 2011
[4]Hassan NJOYA ; Enquête de recherche à la Société Nationale des Hydrocarbures, effectuée en Mai 2011
[5]
E. KAMDEM, Management et interculturalité en Afrique : Expérience
Camerounaise ; Les presses de l’Université Laval ; L’Harmattan,
2002
[6]
Hassan Njoya, Formation des Jeunes et politique des stages non rémunérés :
problématique de l’insertion professionnelle des jeunes. Yaoundé-UCAC 2011